Les 39 marches, d'Eric Metayer

« Demander à un homme qui raconte des histoires de tenir compte de la vraisemblance me paraît aussi ridicule que de demander à un peintre figuratif de représenter les choses avec exactitude ». Si Alfred Hitchcock avait assisté à la représentation de l'adaptation de son film Les 39 marches par Eric Metayer, il aurait sans doute été ravi. Le film original d'Hitchcock est un pur film noir mettant en scène une course-poursuite à travers l'Ecosse, sorti en 1935. Du film noir il a déjà tous les codes, avant Le faucon maltais de John Huston. De belles femmes, un héros-malgré-lui se retrouvant au cœur d'une affaire qui le dépasse, un mystère, celui des « 39 marches », tous les ingrédients sont là. C'était donc un vrai challenge pour le metteur en scène Eric Metayer que d'adapter ce film au théâtre, avec seulement quatre comédiens qui plus est. Un vrai challenge qui se pouvait se réaliser sans une certaine dose de loufoquerie et d'invraisemblances, toujours bonnes à faire sourire. Si j'avais été journaliste, j'aurais sans doute titré mon article avec le calembour un peu facile: « Avec Eric Metayer, le théâtre fait son cinéma ».

Pourtant rien n'aurait été plus vrai. C'est bel et bien une pièce de théâtre que l'on regarde, mais dont la plupart des codes viennent du cinéma. Et c'est bien parce que l'on connait tous ces codes que l'on rit. Et là où Eric Metayer a fait fort, c'est qu'il parvient à ajouter à cela la dimension théâtrale qui fait que sa pièce n'est pas qu'un simple « cinéma du pauvre ». Non, bien au contraire, Les 39 marches est une pièce on ne peut plus riche. Riche en références d'abord. Je ne les ai pas toutes saisis, mais le metteur en scène s'amuse à glisser des références à de nombreux autres films d'Hitchcock, que ce soit la fameuse scène des avions dans La mort au trousses, ou une version burlesque « poulailler » des Oiseaux. Riche en personnages aussi. C'est pas moins de 150 personnages qui sont incarnés par 4 comédiens. Ou plutôt deux, car les deux autres n'en jouent respectivement que un et trois. C'est une réelle performance d'acteur que livrent Eric Metayer et Jean-Philippe Beche en parvenant à changer de rôle très facilement, et parfois simplement en changeant de couvre chef.


Et puis bien sûr, c'est une pièce riche en gags. Du comique de geste beaucoup, et c'est le plus impressionnant. De voir tous ces acteurs mimer un train juste en tressautant sur une chaise, ou de mimer un violent courant d'air en donnant l'illusion que leurs vêtements menacent de s'envoler. Difficile à expliquer, mais bluffant quand on le voit. Et puis aussi du comique de répétition, qui a pu m'ennuyer un peu par moments, où l'on se demande quand est-ce que ça va s'arrêter. Et enfin, les gags les plus fins sans doute, qu'on pourrait qualifier de « méta-théatraux ». Les acteurs qui jouent des décors, mais si mal que la pièce est interrompue pour que les personnages sachent comment se comporter. Ou encore l'auberge espagnole lookée à la provençale « parce que l'accent écossais c'est trop difficile ». Et j'en passe beaucoup. Chaque acteur excelle dans ses rôles, même ceux qui n'en ont pas beaucoup. Andréa Bescon est aussi convaincante en femme fatale allemande qu'en paysanne délurée. Et j'ai vraiment adoré Christophe Laubion qui joue à merveille le héros hitchcockien, avec la voix tout droit sortie d'un film des années 40, à la fois naïf, caustique et désabusé, entre un James Stewart et un Erroll Flynn.

Bref, l'adaptation d'Eric Metayer est excellente de bout en bout, même si le rythme très soutenu n'est pas facile à suivre au début, et peut être usant à la fin. En tout cas la mise en scène fait preuve d'une inventivité remarquable: n'importe quelle astuce est prétexte à amener un gag, et Metayer exploite à fond toutes les possibilités du théâtre, avec image projetées pré-enregistrées, ombres chinoises, lumières, décors mobiles, etc..., Il faut d'ailleurs saluer l'équipe des techniciens qui permet à la pièce de progresser avec une fluidité impressionnante. Les 39 marches est donc une pièce aux multiples qualités, qui a bien mérité son Molière de la meilleure pièce comique (même si je n'ai pas vu les concurrents). Hitchcock disait aussi: « Le théatre, c'est la vie. Ses moments d'ennui en moins ». Je ne saurais le contredire.


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