Earth - Angels of Darkness, Demons of Lights 1

Je n'en ai jamais parlé ici, mais je suis un grand amateur de doom et de stoner, genres auxquels je ne consacre sans doute pas tout le temps qui leur est nécessaire. Car il n'est pas toujours facile de se plonger dans de longs morceaux dont le tempo excède rarement les 60 bpm quand on prétend suivre le flot continu de l'actualité musicale. Et pourtant c'est sans doute dans ces moments là qu'on apprécie le plus cette musique qui vous fait respirer à un autre rythme. Certes, Earth n'est pas du doom à proprement parler, car Dylan Carlson a davantage influencé Sunn O))) que Electric Wizard. Mais j'ai plus de mal avec le drone, et la musique de Earth n'a jamais cherché à sacrifier le rythme et mélodie sur l'autel du "ressenti". Surtout depuis l'EP Hibernaculum qui montrait un Earth plus "clair", le meilleur exemple résidant dans le dépoussièrage du fameux "Ouroboros is Broken". En bref, face à la surenchère du drone, Earth jouait la carte d'un ressenti différent, plus mélodique, plus doom quoi, même s'il ne reste plus grand chose de l'étiquette "métal".

Je dis tout cela pour une raison simple: le virage de Earth plait forcément davantage aux amateurs de doom qu'aux amateurs de drone. Vous comprendrez donc sans avoir besoin de lire tout l'article que je suis conquis par cette nouvelle fournée de Earth. Déjà parce que je préfère cette pochette aussi horrible que fascinante à celle qui ressemblait à une bande dessinée d'heroic-fantasy de l'album précédent. Et puis parce que Dylan Carlson a eu la merveilleuse idée d'inviter un violoncelliste sur son album. Il faut savoir que pour moi, le violoncelle est toujours un gage de qualité. Ne serait-ce que pour "Monkey Gone to Heaven" des Pixies. Ca donne toujours un côté épique/fin du monde, je trouve ça magnifique. Et quelle meilleure idée pouvait-on avoir que de mettre un violoncelle dans une musique qui déjà en elle-même sonne comme la bande originale d'un film post-apocalyptique, comme The Road

Et je ne choisis pas mes mots n'importe comment. Post-apocalyptique, oui. Car autant les premiers albums de Earth étaient gonflés de tension et d'une violence latente qui annonçaient une fin proche, autant cet album là sonne comme le repos du survivant, à la fois heureux d'être en vie et seul dans un monde désolé, où ne règne que la mort. Voilà la rupture accomplie par Earth, qui parvient à donner un autre sens à sa musique, reposant pourtant sur les mêmes bases: la lenteur. Désormais, c'est la vie au milieu de la mort, la tension est relâchée, on se repose, enfin. Tout n'est plus obscur, il y a des lueurs d'espoirs qui éclaircissent le tableau. Les teintes sont nouvelles, et l'émotion est transfigurée. Toujours aussi profonde, la musique de Earth devient une catharsis d'un nouveau genre. L'aventure est plus paisible, mais pas moins bouleversante. 

Je parlais de The Road. Ce que j'aime particulièrement dans le doom et autres musiques lentes et expérimentales, c'est leur aspect très évocateur. Il suffit de fermer les yeux pour voir se matérialiser tout un univers autour de nous. Jim Jarmush l'a bien compris en utilisant régulièrement ce genre de musique pour accompagner ses films. Dans The Limits of Control notamment, auquel Earth a participé avec Bill Frisell d'ailleurs. Et c'est la même sensation qui se dégage de Angels of Darkness, Demons of Lights. La solitude, le voyage. Des questions, et pas de réponses. Un recueillement presque métaphysique. Cet album, c'est la bande-originale qu'aurait choisi Jarmush si c'était lui qui avait réalisé The Road. Je rêve éveillé là, mais ç'aurait fait un putain de bon film je pense.

Earth signe avec ce premier volume de Angels of Darkness, Demons of Lights un album d'une troublante beauté. Loin de la violence des débuts, c'est l'apaisement qui caractérise ici la musique de Dylan Carlson. Au fond, la carrière de Earth montre deux étapes d'un même processus: l'anéantissement. Avec l'avant, et ici l'après. Le groupe parvient à dégager de puissantes émotions en faisant une musique qui n'a plus grand chose à voir avec les débuts. Du doom il ne reste que la lourdeur du tempo apathique. Maintenant c'est dans le folk et le blues que Dylan Carlson puise ses influences. Ce n'est plus une musique de fin du monde, c'est déjà fini.


A lire également sur Foetusfoetus et sur Brainfeeders & Mindfuckers, qui est plus sceptique, puisqu'il préfère le côté drone.

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